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L'histoire

Mecachrome reprend de l’altitude 12.05.10

Après deux années noires, Mecachrome est finalement sorti de l’impasse grâce à une alliance inédite entre le Fonds des Travailleurs du Québec, ACE Management et le FSI. De Montréal à Tours, histoire d’un retournement réussi au terme d’un an de tractations parfois houleuses.
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Si Mecachrome figure parmi les restructurations françaises médiatiques de 2009, son dénouement reste singulier à bien des égards. Entre retournement et LBO, le sous-traitant pour l’automobile et l’aéronautique a bien failli y laisser quelques plumes. Mais le combat en valait la chandelle. Fleuron de l’industrie française fondé en 1937 par Eugène Casella, Mecachrome a construit sa notoriété sur l’usinage de pièces mécaniques complexes : moteurs de Formule 1, de camions (Volvo, Mercedes…), pièces en série pour des véhicules de luxe (Porsche, Volvo...), l’industriel est entre autres un sous-traitant de premier ordre pour Airbus (train d’atterrissage de l’A320, parties des ailes et du plancher de l’A380…). C’est sous l’impulsion du fils du fondateur dans les années 1970 que Mecachrome acquiert son rang de grosse PME, passant de 70 à 1 800 salariés répartis sur cinq sites industriels début 2000.Spirale de l’endettement
Pour maintenir la cadence de son développement, la famille fondatrice fait le choix de l’endettement. Et surtout du transfert de son siège au Canada, malgré une activité qui reste à 95% produite dans l’Hexagone. La société de tête s’implante ainsi au Québec en 2004 avec l’intention de se rap procher des donneurs d’ordre nord- américains, Bombardier et autres Boeing. Le capital s’ouvre d’ailleurs à des investisseurs canadiens comme le Fonds des Travailleurs du Québec (FTQ) qui mise environ 35 millions d’euros. En 2007, les carnets de commandes de l’industriel sont pleins et son chiffre d’affaires culmine à près de 300 millions d’euros. Le groupe décide de s’introduire sur la Bourse de Toronto et lève une dette de 200 millions d’euros sur le marché obligataire. Avec en ligne de mire le financement de la construction d’une usine dans la région de Montréal.
Mais la politique d’investissement se heurte au retournement de conjoncture en 2008. Le décalage des commandes dans l’aéronautique, la chute du marché automobile, ainsi qu’une instabilité au sommet de la gouvernance du groupe exacerbent ses difficultés de trésorerie. Le deuxième trimestre enregistre une perte nette de 4,9 millions d’euros. Le cours de l’action ne cesse de dégringoler. Avec environ 30% du capital, la famille Casella conserve néanmoins plus de 80% des droits de vote. Et décide provisoirement de passer les commandes à un spécialiste des réorganisations d’entreprises. Rapidement, le dossier prend une tournure politique.Procédure franco-canadienne Mais en novembre 2008, malgré un pas sage par le Ciri, l’entreprise se retrouve dans l’incapacité d’honorer les intérêts de sa dette obligataire qui s’élèvent à 9 millions d’euros. En décembre, une procédure de sauvegarde est ouverte en France pour ses fi liales opérationnelles tandis que Mecachrome International, qui supporte l’intégralité de la dette obligataire, se place sous la protection du Chapter C36 canadien, équivalent du Chapter 11 américain.Entre-temps, sa dette obligataire a déjà circulé. Deux hedge funds de Carlyle et Pioneer ont racheté un bloc significatif à un niveau de décote atteignant les 10 cents le dollar. Avec pour objectif à peine voilé d’entrer au capital par ce biais. Côté recapitalisation, les candidats ne se bousculent pas au portillon. Vingt-deux fonds sont contactés, parmi lesquels des acteurs du retournement. Sans succès. Le FTQ, qui a conservé plus de 12% du capital depuis l’IPO du groupe, songe à s’engager pour sauver sa participation. Le Fonds propose à ACE Management d’allier leurs forces. Les deux structures se connaissent bien. Le FTQ est l’un des sponsors des fonds gérés par l’investisseur, tandis que ce dernier, spécialisé dans l’aéronautique, a été actionnaire de Mecachrome de 1994 à 1998. Dans un premier temps, le tandem propose au Tribunal canadien un financement intermédiaire de 20 millions d’euros, convertible en actions, afin de permettre à l’industriel d’assurer son fonctionnement opérationnel. Proposition acceptée fin 2008 par le juge qui leur octroie de facto un privilège de new money.La carte FSIMais les besoins de recapitalisation du groupe atteignent 45 millions d’euros dans l’optique d’un rachat de dette, alors que le FTQ et ACE ne sont prêts à investir chacun que 15 millions d’euros. Ce dernier réfléchit à un troisième partenaire. La dimension hautement stratégique de Mecachrome le place dans le champ de la mission du FSI, fraîchement structuré. ACE, qui compte la CDC parmi ses principaux sponsors, a en outre déjà coïnvesti avec le Fonds souverain sur l’un de ses premiers dossiers (Daher). « Notre comité d’investissement a tout de suite perçu l’intérêt de cette opération pour le FSI et a donné son accord en quinze jours, souligne Olivier Ferrand, directeur d’investissement au FSI. Mais nous sommes restés en retrait des négociations avec les créanciers pendant quinze jours supplémentaires, afin de ne pas être perçus comme un « deep pocket investor ».Jeu de dissuasion nucléaire
Car, en juin 2009, les négociations se tendent. Les nouveaux partenaires ont déjà proposé de racheter en cash la dette pour 15% de sa valeur faciale. Le comité des créanciers estime cependant la proposition insuffisante. Et menace de s’opposer au plan, la procédure canadienne d’obédience anglo-saxonne privilégiant le droit des créanciers. Les investisseurs décident toutefois de passer à l’offensive grâce à un argument imparable. « Le privilège de new money nous donnait la possibilité de demander le remboursement de notre apport à son échéance, ce qui aurait entraîné automatiquement le défaut de paiement de la société de tête, explique Xavier Herrmann chez ACE. Or, la dette était garantie par ses filiales opérationnelles françaises. Le mécanisme d’appel en garantie aurait ainsi déclenché le basculement des renégociations devant le juge français. » Lequel peut geler les créances et étaler les remboursements sur dix ans. D’abord sous-estimé, le spectre de la « sauvegarde à la française » est finalement pris au sérieux. Et la dissuasion nucléaire finit par avoir raison du comité des créanciers.

Reconquérir les banques françaisesEn septembre 2009, le juge canadien ava lise le plan de restructuration en conditionnant la sortie du Chapter C36 à la levée d’un financement bancaire de 22 millions d’euros.Un nouveau challenge loin d’être évident. Mecachrome, depuis son exode outre-Atlantique, avait des relations plus que « distendues » avec les banques de l’Hexagone. « Il a fallu plus de trois mois pour les convaincre, alors que nous nous étions engagés à rembourser les créanciers obligataires avant le 31 décembre, relate Olivier Ferrand. Le message est simple : un nouveau management, une nouvelle stratégie, un rapatriement du siège social en France. » Cinq établissements dont BNPP, Société Générale, CIC et le Crédit Agri cole se rallient au projet, puis un sixième, après un passage par le Ciri. In fine, Mecachrome sort de la protection judiciaire en décembre 2009. Sa dette de 200 millions d’euros est rachetée 33 millions. En apportant chacun 15 millions d’equity, ACE et le FTQ s’adjugent à parité 70% du capital, tandis que le FSI prend le solde. Exit, donc, la famille Casella. Mais la restructuration du groupe préserve au bout du compte quelque 1 400 salariés. 

Avril 2010 | numéro 54  

Benjamin L'Hoir

Repères

> 1937 : Création par Eugène Casella
> 1947 : Sous-traitance de pièces aérospatiales
> 1971 : Fabrication de pièces pour le sport automobile
> 1991 : Début de la production automobile de série
> 1999 : Assemblage de moteurs de F1
> 2004 : Le siège social de Mecachrome International s’implante au Québec
> 2007: Introduction à la Bourse de Toronto et émission d’une dette obligataire de 200 millions d’euros
> 2008 : Placement sous protection judiciaire au Canada et en France
> Mars 2009 : Julio de Souza devient Pdg
> Décembre 2009 : Sortie de sauvegarde, restructuration de la dette et reprise par ACE Management, le FTQ et le FSI

Visions croisées

 

Thierry Letailleur, président du directoire d’ACE Management, et Olivier Ferrand, directeur d’investissement au FSI, reviennent sur la reprise de Mecachrome.

P.E.M. : Pourquoi avez-vous décidé d’entrer au capital ?

T. L. : Mecachrome est un acteur mondial de référence. Des clients comme Safran et Airbus, que nous connaissons par ailleurs très bien, n’avaient pas envie de voir de type de sous-traitant disparaître. Nous sommes convaincus du potentiel de Mecachrome : une expertise métier reconnue, une taille critique sur ses marchés, une présence internationale et, maintenant, une organisation managériale et des ressources financières.

O. F. : Mecachrome est une entreprise française clé sur son secteur, avec comme clients les principaux acteurs de
l’automobile et de l’aéronautique. S’il n’est pas dans notre mission de rentrer au capital d’entreprises en difficulté, le FSI a pu jouer un rôle de levier public pour accompagner l’entreprise dans sa phase de mutation.

PEM : Quels ont été les défis opérationnels pendant la période de sauvegarde ?

T. L. : Une procédure collective a forcément des conséquences opérationnelles du fait de l’inquiétude qu’elle fait naître auprès des salariés, des clients et des fournisseurs. Le principal défi opérationnel est donc de conserver leur confiance. En la matière, les salariés ont eu une attitude extrêmement responsable face à la situation, et les nouveaux clients et fournisseurs ont eu confiance dans ce nouveau projet d’entreprise.

O. F. : Un plan de rationalisation de l’activité a été courageusement mené par Julio de Sousa dès son accès à la direction en mars 2009. L’ancien directeur industriel de Mecachrome justifie de vingt-cinq ans de présence au sein de son entreprise et a bénéficié à cet égard d’un large soutien des salariés. En dépit des plans sociaux mis en oeuvre (une centaine d’employés de la branche automobile, un site fermé en Suisse…), aucun mouvement social n’a été reporté.

PEM : Quels sont les objectifs de Mecachrome depuis sa sortie de sauvegarde ?

T. L. : Mecachrome a connu un période difficile pendant pratiquement deux ans et a inévitablement vécu une période de désorganisation industrielle. Les efforts vont donc se concentrer sur le commercial et sur l’outil de production pour partir à la reconquête du marché en 2010. La priorité reste de satisfaire les clients en améliorant les taux de services.

O. F. : Aujourd’hui, la priorité des actionnaires et du management mis en place est le retour à la rentabilité et l’excellence opérationnelle. L’objectif est de renouer dans les cinq prochaines années avec le chiffre d’affaires que Mecachrome réalisait en 2007, autour de 300 millions d’euros.

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