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L'histoire

Harlé Bickford, un groupe détonnant 27.09.10

Géré en famille pendant un siècle et demi, la Financière Harlé Bickford (FHB) s'était transformée en nébuleuse. Accompagnée par Argos Soditic dans la rationalisation de son actionnariat et de ses métiers, c'est désormais une structure agile qui explose aux quatre coins du monde.
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C’est une société ancienne aux allures de start-up », sourit Dominique Héber-Suffrin, le président d’Harlé Bickford. Aujourd’hui en pointe sur le marché des détonateurs électroniques, le groupe achève un tournant dans son histoire commencée il y a plus de cent cinquante ans. Le point de départ, c’est l’invention du cordeau Bickford en 1831 que la société anglaise Davey Bickford & Cie exploite en France à partir de 1839. La révolution industrielle tire le business des détonateurs pendant plus d’un siècle, mais, lorsque les mines de charbon commencent à fermer, il faut bien trouver d’autres relais de croissance. Sur ce constat, l’entreprise diversifie son savoir-faire dans la défense avec un système d’éjection pour avions de chasse en 1971, puis dans l’automobile avec les déclencheurs d’airbags dans les années 1980. De plus, FHB fournit aussi la prospection pétrolière, car l’analyse des ondes de chocs des détonations permet de cartographier les gisements. Toutes ces activités, ainsi que les initiateurs de sécurité (détection incendie, sécurisation de transports de fonds), constituent le volet pyrotechnie. Enfin, à partir de 1987 un nouveau pôle totalement différent s’y ajoute : la radiocommunication, fruit de plusieurs acquisitions. Ainsi, au début des années 2000, la PME est progressivement devenue un petit conglomérat familial réalisant 50 millions d’euros de chiffre d’affaires en pyrotechnie, ainsi que 12 millions d’euros en radiotélécom, et gérant un patrimoine immobilier.Un capital trop fragmentéMais après sept générations d’héritiers, le capital devient plus que fragmenté, ce qui ralentit la gestion. « On a dénombré 227 actionnaires ! Le plus gros ne détenait que 4,5 % du capital et il n’y avait pas de réel bloc de contrôle », se souvient Karel Kroupa, directeur de participations chez Argos Soditic. Pour unifier sa stratégie, Harlé Bickford fait alors appel à un homme de l’extérieur : Dominique Héber-Suffrin, vingt ans de direction de sociétés, qui prend les rênes de la pyrotechnie en 2002, puis du groupe entier un an après. Le dirigeant est mandaté par les actionnaires pour céder la partie détonateurs pour carrières et étudie diverses pistes. Cependant, il apparaît rapidement qu’il sera difficile de se séparer de cette seule activité sans nuire aux autres marchés des détonateurs. À l’époque, en 2006, le chiffre d’affaires de 90 millions d’euros est réalisé à 40 % par la pyrotechnie industrielle, à 20 % par les composants automobiles et à 40 % par les radiotélécom (Jaybeam Wireless). Surtout, « la structure de l’ensemble était particulièrement complexe aussi bien sur le plan juridique que dans l’organisation et les modes de fonctionnement », confie le président de FHB.La solution du MBOIl est grand temps de faire appel à un spécialiste des deals épineux, Argos Soditic. Dominique Héber-Suffrin avait croisé le fonds via une banque d’affaires au sujet de l’activité carrières, et, après plusieurs rencontres, le financier fait une offre en novembre 2006. Là commence une phase de due dilligences compliquée, car l’organigramme se révèle un vrai casse-tête de filiales imbriquées. « Le défi était de fédérer tous ces actionnaires pour répondre à l’exigence de réactivité du monde actuel », selon Karel Kroupa. Quatre mille heures d’audit plus tard, le rachat est lancé mi 2007. Les petits porteurs se montrent réceptifs à l’idée d’obtenir la liquidité de leurs parts, et les managers souhaitent réduire l’actionnariat pour surmonter l’inertie dans les prises de décision. Pour l’anecdote, en récupérant les archives du siège historique, Dominique Héber-Suffrin a découvert plusieurs projets stratégiques jamais mis en oeuvre faute de consensus... L’idée du MBO s’impose pour donner les moyens au groupe de gagner en réactivité. Argos valorise sa participation autour de 40 millions d’euros et les activités sont logées dans deux holdings, l’une pour les actifs industriels, l’autre pour les placements, avec un actionnariat resserré : le fonds détient 55 % et 40 % des deux holdings, le management 20 % de chaque et une vingtaine de personnes physiques s’adjugent le solde.Retour au coeur de métierOn y voit enfin clair. Il faut à présent mettre en oeuvre la stratégie écrite dans les grandes lignes dès 2004 par Dominique Héber-Suffrin, c’est-à-dire un recentrage sur le coeur de métier. Un programme de cession est mis en place pour conserver le seul pôle pyrotechnie, et le produit des ventes sera affecté au remboursement de la dette senior du MBO. En tout, 12 cessions sont menées tambour battant dans un contexte de crise. Primo, en juin 2008, l’activité automobile est vendue à TRW Airbag Systems (Allemagne), dont FHB était précédemment le fournisseur. Ensuite, l’idée était de « consolider le pôle radiotélécom afin de pouvoir l’adosser à un acteur industriel du secteur », selon le dirigeant. Donc après être passé de 10M€ en 2000 à 40M€ de CA en 2008, il est cédé en janvier 2009 à Amphenol, groupe américain coté. Enfin, le ménage est fait dans les actifs immobiliers, et le tandem fondsdirigeant décide de réactiver l’activité carrières en s’appuyant sur la forte notoriété de la marque Davey Bickford. L’investissement en R&D, historiquement important et encore accentué par Argos, a permis à FHB de développer un modèle de détonateur électronique innovant sur lequel elle fonde sa stratégie de conquête internationale.
Bourré d’électronique, piloté par des logiciels de tir, en avance sur les normes, ce détonateur a séduit des géants de l’industrie minière comme BHP Billiton ou Rio Tinto. En plus des filiales en Australie, en Amérique du Nord et en Amérique Latine, la société va s’étendre au Pérou et en Russie – pour les implanter, le dirigeant entreprend de visiter un continent par mois. A présent, la pyrotechnie industrielle représente 45 millions d’euros de chiffre d’affaires avec une croissance très forte, et le groupe vise l’objectif de 80 à 100 millions d’euros de CA à moyen terme. Pour garder une avance  technologique, Davey Bickford va passer de moins de 4% de chiffre d’affaires consacré à la R&D à près de 8% d’ici à 2012 et anticipe aussi les contraintes environnementales. Le site français de Héry (Yonne) a par exemple été complètement dépollué. 
Pour l’avenir, les perspectives du groupe sont liées en partie à la croissance de la demande de matières premières minières : des projets d’implantation d’usines d’assemblage sont ainsi étudiés près des sites d’extraction. Encouragés par Argos, Davey Bickford et son président baroudeur ont donc encore bien des sites à prospecter au bout du monde.
Laurence Pochard

Visions Croisées

Karel Kroupa, directeur de participations chez Argos Soditic, et Dominique Héber-Suffrin, président de Harlé Bickford.
PRIVATE EQUITY MAGAZINE : Qu’est-ce qui vous a conduit à vous choisir ?
K. K. : C’est une rupture dans l’histoire d’un groupe, un projet de développement avec des fondamentaux solides et le potentiel pour bâtir un projet audacieux en face de concurrents beaucoup plus grands. La complexité inhibait le groupe, l’idée était de le libérer pour se concentrer sur le métier avec le plus fort potentiel.
D. H. S. : Le management du Groupe FHB a été séduit par la grande capacité d’écoute, la finesse d’analyse et de compréhension des options stratégiques. Il a aussi été concquis par le pragmatisme des équipes d’Argos Soditic.
PE MAG : Quels ont été les moments les plus durs ?
K. K. : Les imprévus : le MBO s’est noué en 2007, et, quand nous lançons notre série de cessions, la crise se déclenche. Au moment de céder l’activité auto, il y avait peu de repreneurs possibles. Mais nous avons trouvé le bon.
D. H. S. : Le fait de combiner les multiples opérations de haut de bilan et la conduite de l’entreprise. Pourtant, Argos nous a fait confiance, et nous avons réussi cette phase.
PE MAG : Quel a été le meilleur moment de votre collaboration jusqu’à aujourd’hui ?
K. K. : Ce qui est gratifiant, c’est de voir que, trois ans après, le plan a fonctionné, et que les projections se concrétisent, alors qu’il n’était pas facile de prendre du recul sur le projet au début, du fait de sa complexité.
P. G. : Au-delà de l’apport d’Argos en matière de planification et de gestion du BFR, le management a bénéficié de leurs savoir-faire et implication dans les différentes cessions qui ont permis le remboursement de la dette LBO en seulement dix-huit mois. Aujourd’hui, le groupe est totalement refocalisé et désendetté.

Repères

> 1839 : Création de Davey Bickford & Cie en France pour exploiter l’invention du cordeau Bickford, une mèche pour explosifs.
> 1971 : Diversification dans les systèmes d’éjection pour avions de chasse.
> 1987 : Création du pôle radiotélécom, après s’être positionné sur le marché des airbags.
> 1998 : Lancement de la gamme de détonateurs électroniques Daveytronic.
> 2007 : MBO avec Argos Soditic pour recomposer l’actionnariat.
> 2008 : Cession de l’activité automobile.
> 2009 : Cession de la radiotélécommunication et fin du recentrage sur le métier de la pyrotechnie industrielle.
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