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L'histoire

Interflora : quand les fonds ont la main verte 18.05.11

La mutation d’Interflora d’une coopérative en un acteur leader de la logistique florale ne s’est pas faite sans mal. La présence de Barclays PE et de 21 Centrale Partners aux côtés de la famille Hazak a fortement contribué à l’éclosion de la PME aujourd’hui tournée vers l’expansion numérique et géographique.
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Un simple petit hasard suffit pour influencer le cours d’une vie. Il en va de même pour une entreprise. Interflora, marque leader en France de la distribution de bouquets de fleurs, réalisant un chiffre d’affaires de 106 millions d’euros aujourd’hui, n’était que l’ombre d’ellemême en 1997. Alors que les dettes s’accumulaient et que les fleuristes, actionnaires minoritaires, soupçonnaient Denis Fastout, majoritaire à 70 %, de vouloir faire remonter la trésorerie de la société vers le holding pour éponger divers déboires immobiliers, la situation n’était pas au beau fixe. Dans la tourmente, l’homme d’affaires a vendu des actions avec garantie de re prise à échéance, et n’a pu rembourser. « Nous sommes donc entrés sur ce secteur par accident en 1997. Alors que mon père avait fait carrière dans le Loto national, j’étais grossiste en fournitures de bureaux de tabacs et venais de céder mon entreprise à Seita », se remémore Eric Hazak, DG actuel de la Société française de transmission florales (SFTF) dépositaire de la marque. Il a petit à petit racheté des titres supplémentaires avec son père Félix Hazak, sentant bien que cette société basée à Lyon, jadis association puis coopérative, recelait un fort potentiel.
Organisant la transmission florale à distance par l’intermédiaire d’un réseau de 5 300 fleuristes triés sur le volet, mandatés pour transmettre et exécuter des ordres de livraison, son business model semblait rentable et son organisation peu capitalistique.

 

Prise de pouvoir avec Barclays PE

Une fois le navire remis à flot, la famille Hazak, qui ne détient que 20 % des titres, prend réellement le contrôle en 2003 par un premier LBO avec Barclays Private Equity. La transaction valorise la société à 34 millions d’euros, et l’entité qui détient 64,5 % des titres est contrôlée à 50,1 % par la famille Hazak et 49,9 % par le fonds. « Il a fallu négocier ferme pour être majori taires dans la newco, car les fonds aspirent à garder le contrôle du LBO », déclare Eric Hazak, encore étonné par la facilité de l’opération : « Nous avons emprunté 90% du montant de l’acquisition. Tous les fonds étaient intéressés, car l’entreprise, avec 60 % de parts de marché, réalisait un CA de 102 millions d’euros pour un bénéfice net de 3 millions. Mais c’est surtout la transition du réseau traditionnel vers Internet qui représentait un gros potentiel ». L’enjeu est en effet de taille ; la concur rence – Aquarelle ou le Bouquet Nantais – a investi la Toile. Or, plus le business passe par le Web, plus il est rentable. Le fleu riste remplit deux missions : il est d’une part apporteur d’affaires, d’autre part exécutant, sous-traitant et livreur, ce qu’il préfère parce qu’il appose son étiquette et peut rendre certains clients fidèles. « Quand le client nous sollicite via Internet, il n’y a pas de commission à rétrocéder pour cette première tâche. Si bien qu’à chiffre d’affaires constant, l’Ebitda augmente », explique Eric Hazak. Aidée par un taux de notoriété important, Interflora a tôt fait de s’imposer sur le Web. Reste à monter en puissance. Mais assez vite Barclays PE, ainsi que Félix Hazak veulent se désengager.

Expansion soutenue avec 21 Centrale Partners

Un LBO secondaire en 2006, contrôlé par 21 Centrale Partners, fondé par Gérard Pluvinet et Alessandro Benetton, leur offrira une porte de sortie. Il permet de valoriser la société à 85 millions d’euros et de lever 50 millions de dette. Tandis que Barclays PE se retire, Eric Hazak conserve 16,5 %, les 2 500 fleuristes actionnaires et les salariés gardent 22 % des titres. « Le CV de 21 Centrale Partners a pesé dans la balance. Nous sommes habitués aux transmissions familiales (SRI, Meccano...) et détenons une certaine expertise dans l’optimisation d’un réseau - Benetton est une marque forte de 6 000 boutiques. En outre nous avions vécu l’expérience Century 21, où le réseau a dû être développé et optimisé et où nous avions créé un courtier en ligne », relate Gérard Pluvinet, président du bureau parisien du fonds. Mais, outre l’expansion sur Internet, les dirigeants ont les yeux tournés vers l’étranger. Or 21 Centrale Partners a réalisé 80 build-up en dix ans et a accompagné nombre d’entreprises à l’international, comme Holophane ou Sword group.
On l’aura compris, le partenariat est financier, mais aussi industriel et vise à faire passer Interflora du statut d’entreprise familiale à celui de leader sectoriel apte à grandir, par croissance interne et externe. Certains défis ont été relevés avec succès. La part de l’activité Internet dans le chiffre d’affaires est passée en quelques années de 20 à 40 %. « Une mutation réalisée sans conflit avec le réseau traditionnel. Nous ne voulions pas nous approprier des ateliers de fabrication de bouquets », explique Eric Hazak. Ainsi les fleuristes peuvent proposer, en plus de l’album Interflora, des offres personnalisées.
Son autre grand succès concerne la société Renaud Distribution, spécialisée dans la fourniture de matériel aux fleuristes et rachetée par la SFTF. « Elle était en déliquescence, et la question de la garder ou non dans le périmètre s’est posée », se remémore Stéphane Perriquet, directeur associé pour 21 Centrale. Fort de son expérience dans le BtoB, Eric Hazak a redressé cette entité qui réalise un chiffre d’affaires de 30 millions d’euros et a connu une croissance de son Ebitda de 70 % en trois ans.

Montée en puissance mouvementée

Il a par la même occasion définitivement gagné la confiance de 21 Centrale, qui a initié des comités d’échange, a facilité l’ascension de cadres pour l’épauler. « Il était important de passer à un mode de management plus collégial », décrit Gérard Pluvinet. Toutefois d’autres missions se sont révélées plus épineuses. « Nous avons acheté Interflora Espagne à un mauvais moment », concède Eric Hazak. Ainsi un crédit relais de 8,5 millions d’euros, destiné à être refinancé, a été levé en juillet 2008. Mais, dans l’intervalle, Lehman a eu la mauvaise idée de sombrer, ce qui a freiné les ardeurs du pool bancaire à la rentrée. « Les banques voulaient sentir que 21 était présent et faisait son boulot. Mais c’était aussi à moi de venir les rassurer », affirme Eric Hazak. Le refinancement a pu se faire difficilement huit mois plus tard, même si entre-temps l’intégration fiscale du réseau espagnol avait été obtenue. « J’ai pris mon bâton de pèlerin pour racheter les parts des minoritaires qui se retiraient », se souvient douloureusement Eric Hazak. Il fallait convaincre tous ces fleuristes du bien fondé de l’opération, « une sorte d’OPA sur une société non cotée », affirme Stéphane Perriquet.
Finalement, « le léger recul de 4,5% du CA et l’Ebitda légèrement positif en 2009, année pourtant au coeur de la crise, et surtout les +30% d’Ebitda en quatre ans depuis 2006 sont autant de signaux positifs pour l’avenir. « Nous avons encore dans les tiroirs une myriade de gros projets, que nous traiterons les uns après les autres. Mais lorsque nous partirons il en subsistera plus d’un », énonce Eric Hazak, au diapason avec Gérard Pluvinet, pour qui les idées de relais de croissance ne manquent pas : « renfort des réseaux, gammes de produits complémentaires, international ». Des évolutions qui seront assurément moins le fruit du hasard cette fois-ci. 

Pierre-Louis Legendre

repères

> 1946 : Création de la SFTF (Société française de transmissions florales), naissance de la marque Interflora.

> 1997 : Félix et Eric Hazak entrent au capital

> 1998 : Lancement du site Interflora

> 2003 : Premier LBO avec Barclays Private Equity, les Hazak prennent le pouvoir

> 2006 : LBO secondaire avec 21 Centrale partners, pour assumer l'orientation online et l'internationalisation

> 2008 : Build-up Interflora en Espagne.

Visions croisées

  • Zoom
    Eric Hazak, SFTF
    Eric Hazak, SFTF
    © D.R.

Eric Hazak, DG de la SFTF, et Gérard Pluvinet, PDG de 21 Centrale Partners, reviennent sur leur partenariat

 

PRIVATE EQUITY MAGAZINE : Comment vous êtes-vous choisis ?

 

E. H. : Nous connaissions mal l'univers du PE et, comme souvent dans ce genre d'occasion, nous sommes passés par un intermédiaire de confiance, en l'occur - rence Patrick Maurel - alors au cabinet Aforge, aujourd'hui chez Leonardo - qui a fait le tri et nous a mis en relation avec Barclays PE. Sachant que mon père et Barclays voulaient se retirer, c'est encore lui trois ans plus tard qui a pensé, en accord avec notre situation, à 21 Centrale Partners. Ce que nous n'avons pas eu à regretter.

 

G. P. : C’est un dossier que le directeur associé Stéphane Perriquet a « sourcé ». Nous nous sommes réunis avec les Hazak et avons tout de suite été en osmose sur le potentiel de développement par Internet et par croissance externe. Nos valeurs familiales communes ont aussi pesé dans la balance. Félix avait 72 ans, Eric 45. Il fallait une modification de la structure du capital, et nous connaissions bien ce genre de situation.

 

PEM : Comment se passe votre collaboration ?

 

E. H. : Notre métier leur a tout de suite plu, et ils n'ont pas simplement adopté une approche bilancielle, ce qui nous a agréablement surpris. J'échange aussi avec eux sur des problématiques industrielles et commerciales. Je les ai au téléphone une à deux fois par semaine, et les vois une à deux fois par mois pour un reporting physique. Ils auraient pu nous jouer la comédie, mais notre coopération de quatre ans prouve leur intérêt. Si nous traversions d'importantes difficultés, je pense qu'ils pourraient les comprendre.

 

G. P. : Notre fréquence de réunion peut varier selon l’actualité. Lors du rachat en Espagne nous avons agi de concert et avons donc multiplié les rencontres. En plus des problématiques financières et de la gestion active de la dette, nous étudions les opportunités, échangeons sur les modes et structures de management. Eric aime tester des idées sur nous.

 

PEM : Songez-vous à la séparation ?

 

E. H. : Il n'existe pas de plan préétabli. Nous envisageons un dénouement commun à un moment donné, mais le temps n'est pas venu. Comme nous avons bien traversé la crise, nous recevons des sollicitations régulièrement. Mais j'ai encore de nombreux projets en tête, et surtout les banques ont encore du mal à prêter pour d'éventuelles grandes manoeuvres. 21 Centrale ne semble pas non plus pressé.

 

G. P. : Il faudra bien y venir un jour. Il est rare que nous décidions du moment. A un instant t, une nouvelle étape doit être franchie et nous en profitons pour partir, comme tout fonds qui doit faire tourner ses participations. Et ce d'autant plus que nous sommes présents dans 20 sociétés en France de manière active et que nous souhaitons continuer à concentrer nos efforts sur un faible nombre. 

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