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L'histoire

Savena : la sauce prend avec les fonds 16.12.11

Savena a réussi à développer son modèle agroalimentaire BtoB en enchaînant plusieurs LBO. Avec Azulis, accompagné de Céréa, l’entreprise d’Ille-et-Vilaine a conquis de nouveaux marchés, accordant harmonieusement croissance externe et interne pour doubler de taille en quatre ans.
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Le fondateur de Savena, Eric Terré, fait partie des rares entrepreneurs qui préfèrent scinder l’actionnariat et le management : « J’ai été minoritaire dès le départ, indique-t-il. Soit je rachetais toute la société sans pouvoir la développer au mieux, soit je travaillais avec un tiers. J’ai choisi de préserver la croissance tout en restant indépendant. » Pragmatique, il a commencé par créer, en 1988 près de Rennes, Saveur, fabricant de fonds de sauces, au sein du groupe agroalimentaire Primordia (lié à Entremont et à Unicopa). C’est d’ailleurs là que le premier contact avec l’ex-Banexi s’est noué. «Nous connaissons Eric Terré et l’entre prise depuis une dizaine d’années, se souvient Pierre Jourdain, directeur associé d’Azulis. Nous nous étions rencontrés quand Saveur était une division de Primordia, mais ne faisions pas encore d’opérations majo ritaires à l’époque. » Ce n’est que partie remise. Entretemps, Saveur acquiert en 1994 le belge Dena, qui concocte des ingrédients pour la transformation de la viande comme des assaisonnements pour la charcuterie. En 1999, Barclays Private Equity donne le goût de l’indépendance à l’entreprise bretonne en accompagnant son spin-off, certes avec un montage un peu trop en thousiaste côté dette – ce qui a servi de leçon au patron pour sa découverte des fonds d’investissement –, mais l’expérience lui a en tout cas permis d’amorcer une phase de croissance par build-up. Après l’échec du rachat d’une société anglaise en 2000, le groupe entame une diversification dans la nutrition en rachetant Laboratoire PYC en 2003. L’année suivante, il s’offre un fonds de commerce de poudres de fromages détenu par le groupe Bel (Babybel, Vache Qui Rit), qui permet d’élargir la gamme de produits proposés. En 2005, Barclays, qui avait convié ABN Amro Capital dans le deal, lance la cession. Au départ, le patron se rapproche d’industriels comme le volailler Soulard, ainsi que de la holding patrimoniale Cogepa, mais leurs tickets sont insuffisants. L’arrivée providentielle de Quartus, qui prend le lead, sauve le tour de table. Saveur lance la même année son activité à destination des traiteurs, toujours avec la possibilité de développer des solutions sur mesure. Or, il apparaît vite que Quartus ne pourra pas accompagner la société dans ses projets de croissance externe. En effet, l’investisseur n’a pas relevé de véhicule, et passe peu après sous contrôle du fonds coté allemand DBAG.

Azulis et Céréa jouent ensemble la carte de l’agro

« Comme Quartus atteignait la fin du fonds en cours, nous ne nous voyiions pas d’avenir avec eux », a constaté Eric Terré, con traint de se remet tre à la recherche d’un actionnaire en 2007. Cette fois, Azulis se positionne sur le deal, avec désormais la possi bilité de réaliser des prises de participation majoritaires. L’entreprise a bien changé depuis les premiers contacts, et élabore une gamme riche de poudres d’épices, arômes, sauces, bouillons, glaçages, enrobages et autres marinades, ce qui aiguise l’intérêt de Pierre Jourdain. Directeur associé chez l’ex-Banexi et «Monsieur agroalimentaire » de l’équipe, il siège notamment au board du charcutier Fleury Michon. Azulis remporte la mise et invite Céréa, qui faisait partie des prétendants. « Nous avions ap précié Azulis grâce à son profil français et Céréa pour sa spécificité agroalimentaire », justifie le patron. Les deux financiers, qui prennent chacun 35% vont tellement apprécier cette collaboration qu’ils réinvestiront par la suite en duo avec Mar tine Spécialités et, plus récemment, Planet Sushi (voir rubrique Deals page 46). Dans le capital de Savena, ils sont accompagnés de leurs co-investisseurs respectifs, BNP Développement et Natio Vie pour Azulis et Unigrains pour Céréa, qui se partagent 12 %. L’opération valorise Saveur autour de 85 mil lions d’euros. « L’idée, en 2007, était de financer à la fois la croissance interne et externe, un message qui nous a plu », évo que Pierre Jourdain. À ce moment, le projet d’acquisition de l’alsacien Nutrinal, déjà amorcé avec Quartus, se concrétise. Cet achat stratégique permet un renforcement de la présence en France, car la filiale Dena se positionnait plus sur les marchés belge et allemand. Le pipeline de build-up potentiels reste actif, toutefois une acquisition au Canada ne se réalise pas, « trop loin de nos bases », selon Eric Terré. Cela le conduit à réfléchir, avec ses actionnaires, à l’expansion géographique de Saveur : « Jusque-là, la politique de crois - sance externe n’était pas très bien définie. Or, avec Azulis, nous l’avons structurée et concrétisée », poursuit le dirigeant. Le choix du nord de l’Europe s’impose et, en 2009, Saveur réalise une incursion au Danemark en rachetant un fonds de commerce du groupe CHR Hansen, et y ouvre un bureau.

À l’abri de la crise

«Nous n’avons pas subi les conséquences de la crise, ce n’est pas un secteur sensible car les gens auront toujours besoin de manger », se réjouit le PDG. Saveur, rebaptisée Savena en 2009, vend ses produits en Asie, en Russie et en Europe, et s’est réorganisée en divisions stratégiques. Sous l’impulsion d’Azulis, le fabricant d’arômes muscle considérablement sa force de vente : «Nous avons fortement poussé Eric Terré à recruter des commerciaux. En chef d’entreprise prudent, il était très vigilant sur l’augmentation de ses charges. Il a fallu lui démontrer que dès qu’il mettait un commercial sur le terrain, celui-ci générait un surcroît de chiffre d’affaires », précise Pierre Jourdain. Tant et si bien que pendant l’actionnariat d’Azulis, Savena est passée de 20 à 40 commerciaux, et de 56,9 mil lions d’euros en 2007 à 90 millions d’euros de chiffre d’affaires prévus pour 2011 pour 4000 clients. Les effectifs totaux sont passés de 150 à 250 personnes sur la période. En effet, entre 2008 et 2010, la croissance a atteint plus de 10% à périmètre comparable et 15% avec l’impact de deux acquisitions. Ce fort développement a une conséquence : l’usine de Bréal-sous-Montfort (35) devient trop petite. Le projet de la remplacer émerge, la construction d’une nouvelle unité de production est donc programmée pour 2013. Fin 2010, Eric Terré fait le point avec Marc O’Neill, de chez L’Lione, sur les perspectives de Savena. Avec Azulis et son véhicule en fin de capacité d’investissement, la question de la sortie se pose, et il semble qu’une fenêtre de tir se présente. Un processus d’enchères ré - servées aux fonds se monte. « Avant même que nous démarrions formellement le process de cession, nous avons été contactés par plusieurs financiers. Les industriels se sont montrés beaucoup moins réactifs, et ce n’était pas l’option favorite du management », détaille le partner. Le choix se porte sur IK Investment Partners, « le choix du changement sur la politique de croissance, avec une structure internationale, un fonds plus gros », selon les critères du dirigeant de Savena. L’acquisition est bouclée en juillet 2011, suivie en octobre du rachat du fabricant suédois d’ingrédients Formidabel initié avant le changement d’actionnaires. Un quatrième buyout au parfum décidément nordique.

Laurence Pochard

Repères

> 1988: Création de Saveur, filiale de Primordia

> 1994 : Acquisition de Dena (Belgique)

> 1999 : MBO avec Barclays PE (42%) et ABN Amro Capital (22%)

> 2000 : Acquisition de Ricon (Royaume-Uni) > 2003 : Acquisition de Laboratoire PYC (diététique)

> 2004 : Dena acquiert un fonds de commerce de BEL (poudres de fromages)

> 2005 : MBO avec Quartus (50%), Cogepa, Soulard SA (industriel) Création de Cap Traiteur

> 2007 : 3e LBO avec Azulis/ Banexi (35%), Céréa (35%) et leurs partenaires (12%) Acquisition de Nutrinal (France)

> 2008 : Dena reprend l’activité Food d’ISP (colorants)

> 2009 : Le groupe Saveur devient Savena Saveur acquiert un fonds de commerce de CHR Hansen (Danemark)

> 2011 : Le groupe Savena achète le suédois Formidabel (ingrédients aromatiques) 4e LBO avec IK 

Visions Croisées

Pierre Jourdain, directeur associé d’Azulis Capital, et Eric Terré, PDG de Savena
PRIVATE EQUITY MAGAZINE : Comment vous êtes-vous choisis ? 
P. J. : C’est une histoire sur un secteur que nous apprécions, l’agroalimentaire, un secteur résilient qui présente un bon potentiel de croissance sur de nombreux segments. En outre, à part Laboratoire PYC, ce sont des activités BtoB, situées en amont de marchés que nous connaissons bien : les plats cuisinés ou la charcuterie. Nous avons été séduits par le métier et sa dynamique, la clarté et la volonté du management à se développer, ainsi que par les possibilités de croissance externe. E. T. : Azulis et Céréa montraient une bonne compréhension de l’agroalimentaire, avec des profils complémentaires. Ils peuvent comprendre une vision moyen terme, en s’attachant plus aux questions business qu’aux chiffres. J’ai pu avoir des relations plus froides avec des actionnaires qui n’étaient intéressés que par un ou deux ratios. PE MAG : Quel(s) temps fort(s) dans la période ? P. J. : Les acquisitions et les nouveaux projets. Cela n’a pas été un partenariat très long, mais nous sommes passés en 4 ans de 56 (2007) à 90 M¤ (2011) de CA et, presque à chaque conseil, avons dû nous positionner sur des options stratégiques. L’opération s’est déroulée mieux que prévu : d’habitude, on constate une croissance de 1 à 3 % sur les métiers de base de l’agroalimentaire, mais une croissance soutenue sur une longue durée est rare, obtenue ici grâce au dynamisme commercial et à une forte exposition à l’international. De plus, Savena disposait déjà d’un reporting très complet. E. T. : Cela peut se passer plus ou moins bien dans un LBO, et là nous avons eu la chance d’être en période de croissance. Nous avons doublé les effectifs commerciaux et mené une réflexion stratégique sur notre politique d’acquisition. PE MAG : Comment vous êtes-vous séparés ? P. J. : Eric Terré et le management voulaient repartir avec un fonds pour un nouveau MBO. Savena se développe bien, à la fois sur la nutrition, en plein boom, et sur les métiers solides du plat cuisiné ou de la charcuterie. Il est naturel que la préférence du management aille vers un fonds.E. T. : Le choix in fine a été celui du changement sur la politique de croissance. Pour monter en puissance, nous avons favorisé une structure internationale disposant d’un fonds plus gros. Le choix a découlé d’un process d’enchères, avec nombre limité de participants, qui a privilégié les fonds et non les industriels. C’est que nous préférions tous, nous avons encore une histoire à écrire avec les fonds. 
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