
D’abord apanage d’une poignée d’acteurs, la prise en compte des enjeux ESG s’est imposée en l’espace d’une quinzaine d’années au cœur des stratégies des acteurs français du private equity. Entretenu par les contraintes réglementaires, la pression croissante des LPs et le surcroît de création de valeur associé, le mouvement ne semble pas près de s’essouffler.
Il y a dix ans presque jour pour jour, France Invest, alors dénommée Association française des investisseurs pour la croissance (Afic), publiait son premier rapport annuel environnemental, social et de gouvernance (ESG). Son ambition : mettre en lumière l’« évolution réelle » des pratiques de l’industrie, « qui tendent progressivement vers une intégration des facteurs extra-financiers dans les activités d’investissement en capital », écrivait l’association professionnelle. À l’époque, « cette tendance émergente était l’apanage de quelques acteurs de conviction qui intégraient cette dimension dans leur thèse d’investissement, comme Citizen Capital et Mirova, et se matérialisait notamment par l’émergence des premiers fonds d’investissement dans les énergies renouvelables », se remémore Xavier Leroy, responsable du pôle Conseil et solutions chez EthiFinance, spécialiste européen indépendant de la notation, de la recherche et du conseil engagé dans la finance durable.
Depuis, la situation a sensiblement changé. Au terme d’un nouvel état des lieux dressé l’an dernier, France Invest a en effet établi que 90 % des acteurs hexagonaux du non coté intègrent systématiquement l’ESG dans les mémos ou les comités d’investissement avant la réalisation des deals, tandis que 93 % d’entre eux ont érigé une politique ESG formalisée. « Même si toutes les sociétés de gestion n’en sont pas au même niveau de maturité, force est de constater que cette thématique est passée, en l’espace d’une quinzaine d’années, de facteur de différenciation à celui de composante intrinsèque aux stratégies des GPs », résume Noëlla de Bermingham, présidente de la commission Sustainability de France Invest.
Une approche par les risques
Si l’adoption en 2006 des principes pour l’investissement responsable (PRI) avait commencé à faire bouger les lignes, le réel tournant eut lieu neuf années plus tard. « La signature de l’accord de Paris a marqué une véritable accélération du phénomène de prise en compte des enjeux ESG par le secteur », confirme Hervé Fonta, fondateur de Meanings Capital Partners (small & mid cap, infrastructure et real estate). En réponse aux conclusions de cette COP 21, Apax Partners (aujourd’hui Seven2), Ardian, Eurazeo, LBO France et PAI Partners s’étaient notamment associés pour lancer Initiative Carbone 2020, la première initiative internationale de l’industrie du private equity pour la mise en œuvre des objectifs de ce traité dont l’objectif principal est de maintenir l’augmentation de la température moyenne mondiale « bien en dessous » de 2 °C par rapport aux niveaux pré-industriels.
De fait, l’atteinte de cette cible est vite apparue, chez les gérants, comme l’une des conditions sine qua non au respect de leur responsabilité fiduciaire vis-à-vis de leurs LPs. « Afin de protéger la valeur de nos portefeuilles, nous avons d’abord déployé une approche par les risques, témoigne Sophie Flak, membre du directoire, notamment chargée des investissements d’impact, d’Eurazeo, dont le premier bilan carbone incluant les participations remonte à 2008. Pour éviter de nous retrouver détenteurs de “stranded assets”, mais aussi nous assurer que nos actifs sont “future-proof”, nous avons intégré la dimension extra-financière au cœur de notre analyse, et ce dès 2014. » C’est d’ailleurs au cours de cette même année que la société de gestion s’est dotée, au sein de ses organes de gouvernance, d’un comité ESG.
Au cœur des critères de rémunération
Dans la foulée de l’accord de Paris, plusieurs paramètres ont contribué à amplifier le mouvement, parmi lesquels les attentes croissantes des LPs sur les problématiques environnementales et sociales et, surtout, les nouveautés réglementaires. Un domaine dans lequel la France a été motrice, bien avant l’Europe et son Pacte vert (taxonomie, SFDR, CSRD). « Il y a d’abord eu la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte du 17 août 2015, dont l’article 173-VI a défini des obligations de reporting sur les enjeux climatiques pour les investisseurs financiers, puis la loi Énergie climat du 8 novembre 2019, dont l’article 29 a renforcé les exigences vis-à-vis de ces derniers en matière de transparence et de reporting sur les risques relatifs au changement climatique et à l’érosion de la biodiversité », rappelle Noëlla de Bermingham, également directrice RSE d’Andera Partners.
La percée des fonds Article 9

Entré en vigueur en mars 2021, le règlement européen 2019/2088 concernant les informations à fournir en matière de développement durable dans le secteur des services financiers (dit règlement SFDR ou règlement Disclosure) a instauré un système de classification des fonds, distinguant ceux qui n’affichent pas d’objectif d’investissement durable (Article 6), ceux qui déclarent la prise en compte de critères sociaux et/ou environnementaux (Article 8) et ceux, plus ambitieux, qui présentent un objectif d’investissement durable (Article 9).
Si les véhicules classés Article 8 restent majoritaires – ils représentent 52,9 % des encours en Europe, selon France Invest et PwC –, la catégorie Article 9 ne cesse de monter en puissance. D’après EthiFinance, 33 % des GPs agréés par l’AMF déclaraient en effet gérer au moins un fonds Article 9 en 2024, contre 17 % seulement un an auparavant. Parce qu’ils jugent le cadre actuel trop contraignant et empreint d’incertitudes – une révision du SFDR est en cours –, beaucoup privilégient cependant des fonds dits « à impact ». Ces derniers visent à soutenir des réponses entrepreneuriales à des enjeux sociaux et/ou environnementaux, avec un double objectif d’impact et de retour financier. C’est le cas, par exemple, d’Eurazeo et de Mirova. « S’agissant des actifs privés, 100 % de nos fonds sont des fonds à impact », indique Anne-Laurence Roucher, CEO adjointe de cette filiale de Natixis. Dans un livre blanc publié au début de 2024 par France Invest, il ressortait que 31 % des fonds Article 8 et 69 % des fonds Article 9 étaient estampillés comme tels.
Certifications ESG : une importance variable selon les LPs

Aspirant depuis 2016 à rendre plus visibles pour les épargnants les produits d’investissement socialement responsables, le label ISR s’applique aujourd’hui aux OPCVM investis en actions et/ou en obligations, aux sociétés civiles de placement immobilier (SCPI) et aux organismes de placement collectif en immobilier (OPCI). Depuis quelques mois, le comité qui en a la charge travaille cependant activement à la déclinaison d’un référentiel dédié au private equity. En attendant, un nombre croissant de GPs cherche à faire reconnaître leur engagement ESG via l’obtention d’autres distinctions, en particulier la qualité de société à mission et/ou la certification B Corp. C’est le cas d’Abénex, d’Eiffel Investment Group, de M Capital, de Meanings Capital Partners, de Mirova ou encore de Palatine Private Equity, entre autres.
De l’aveu des intéressés, la valeur ajoutée d’une telle démarche auprès des investisseurs demeure toutefois limitée, notamment dans le cadre des levées de fonds. « Au final, seul le track record prime », témoigne Hervé Fonta. Mais le fondateur de Meanings nuance ce constat : « Près d’un quart des LPs de la sphère privée et l’intégralité de ceux de la sphère publique tendent à valoriser ce type d’approches. »