« Les actionnaires doivent personnaliser l’accompagnement de leurs entreprises et les aider à sortir de leurs activités cœur et de leur marché domestique », Laurent Majubert, EY
S’il est indéniable que le sujet de l’accompagnement opérationnel des participations de fonds monte en puissance depuis quelques années, il n’irrigue pas pour autant le marché de façon homogène. Les plateformes multi-stratégies s’en sont généralement emparées, mais certaines stratégies et certains types d’investisseurs en sont encore au stade de la découverte. De quoi laisser ouvert un vaste champ des possibles aux operating partners.
Travailler leurs portefeuilles a incontestablement été l’obsession numéro 1 des équipes d’investissement en 2024. Même si déceler ce qu’elles mettaient derrière ce vocable n’est pas toujours simple, l’intérêt d’une telle attention portée à leurs participations est, lui, assez évident : il fallait de toute urgence créer de la valeur afin d’envisager des cessions dans de bonnes conditions et préserver des indicateurs de performance satisfaisants en dépit des prix parfois élevés concédés à l’entrée. « À la suite d’une période d’inflation marquée en 2022 et 2023, des entreprises ont pu connaître de fortes croissances du chiffre d’affaires et de l’Ebitda dans certains secteurs. Maintenant que l’inflation a tendance à ralentir, il apparaît que la croissance en valeur a parfois caché des baisses de volumes vendus. Il est donc important de retravailler les parts de marché en volumes, par opposition au pricing, sachant que les manières de procéder sont évidemment différentes en fonction des secteurs, des pays d’implantation…, explique Laurent Majubert, partner en services transactionnels chez EY et à la manœuvre pour la rédaction de l’étude sur la création de valeur publiée par France Invest (lire encadré plus bas). On ne peut donc plus adapter des méthodes toutes faites fondées uniquement sur des critères macro-économiques. Les actionnaires doivent personnaliser l’accompagnement de leurs entreprises et les aider à diversifier leurs activités cœur et à sortir de leur marché domestique ou historique. Pour cela, ils peuvent aussi activer les leviers du foisonnement de l’offre ou de l’expansion géographique… et la mise à disposition d’operating partners qui ont déjà été confrontés à ces problématiques peut s’avérer particulièrement pertinente dans ce contexte. Ces derniers répondent d’abord à des enjeux de croissance organique. »
Invoquer cet impératif de soutien au portefeuille tel un mantra a permis de justifier une moindre activité transactionnelle, un activisme renouvelé sur le front des build-up ou encore des recrutements d’experts thématiques. Sur ce dernier point, force est de constater que les profils de « value creation officers », de « seniors advisors » et autres « operating partners » ont émaillé la chronique des mouvements et nominations dans les sociétés de gestion au cours des derniers mois. Astorg a par exemple annoncé au début de novembre un renforcement de son pôle chargé de l’accompagnement opérationnel de ses participations avec les recrutements d’un partner, Keith Beattie, et d’un managing director, Markus Nagel. Après plus de dix ans chez McKinsey & Company, le premier a pris la tête de son équipe Portfolio operations sous la responsabilité de Benjamin Cordonnier, partner et responsable Portfolio performance, tandis que le second en pilote désormais le pôle Operational finance. Il faisait auparavant partie de l’équipe Operational excellence d’Apax Partners. Quelques mois avant Astorg, au cœur de l’été, c’est Seven2, l’ex-Apax Partners français cette fois-ci, qui officialisait l’arrivée de François Candelon en tant qu’associé Value creation & portfolio monitoring en provenance du BCG. À la mi-octobre, Sagard NewGen s’est enrichi d’une « value creation director » en la personne d’Osanne Delcourt, ancienne responsable de la stratégie de Doctolib et de Qonto, passée chez Kamet, le start-up studio d’Axa. Enfin, le 12 décembre, 21 Invest a dévoilé avoir enregistré le renfort de Véronique Goutierre en tant que « value creation officer » et « membre de l’équipe d’investissement, dédiée à la création de valeur des sociétés en portefeuille ». Ancienne opérationnelle chez Exclusive Networks, passée chez Bain & Company, elle était dernièrement vice-présidente Stratégie & opérations au comité de direction de PlayPlay.
L’infra et la dette restent à défricher
Ces quelques exemples ne viennent que confirmer la montée en puissance de ces profils d’operating partners, chez qui les équipes d’investissement viennent chercher une expérience opérationnelle dans un grand groupe, une PME ou une start-up. Ce constat résonne sans grande surprise avec les enseignements de l’étude réalisée par Alvarez & Marsal pour le compte du club Operating partners de France Invest (lire pages précédentes). En revanche, il ne permet pas de prendre en compte les « angles morts » de ce qui devient une tendance de marché depuis déjà plusieurs années. En effet, si les acteurs du LBO et du venture ont globalement intégré l’intérêt de ce type de recrutements, avec quelques disparités en fonction de la taille des entreprises qu’ils ciblent, c’est assurément moins le cas d’autres stratégies d’investissement. Ainsi, l’infrastructure et la dette privée apparaissent plutôt en retard en termes de pénétration par les operating partners et, plus globalement, les impératifs liés à l’accompagnement opérationnel. Dans le premier cas, la raison est probablement liée au type d’actifs dans lesquels les fonds d‘infrastructures investissent : difficile d’identifier et de dérouler une feuille de route de création de valeur opérationnelle lorsque l’on participe au tour de table d’une concession autoroutière par exemple. Toutefois, l’essor des stratégies « value-add », qui présentent pour certaines d’entre elles beaucoup de ressemblances avec des opérations de LBO, tend à faire mentir ce constat. Ainsi, Antin Infrastructure Partners a dans son organigramme un poste de partner chargé de « l’amélioration de la performance », occupé depuis 2015 par Alex Kesseler. Cet ancien d’A.T. Kearney, de Roland Berger et du Portfolio performance group de PAI Partners, a cinq autres personnes sous sa responsabilité.
De son côté, InfraVia Capital Partners a monté une équipe dite d’« asset management » d’une dizaine de personnes. Elle héberge des profils généralistes et une poignée de spécialistes de sujets identifiés comme cruciaux pour ses participations : la cybersécurité avec Arnaud Deschavanne, les RH avec Dorothée Naud, l’ESG avec Isoline Degert comme director, et le digital avec Vincent Grosgeorge. « Les membres de notre équipe d’asset management jouent le rôle de sparring partner des dirigeants de nos participations, de courroie de transmission avec l’ensemble de notre écosystème, mais aussi de tour de contrôle avec la mise en place de mesures de suivi opérationnel pour s’assurer de l’atteinte des objectifs. De manière plus spécifique, nous sommes quelques-uns à intervenir sur des sujets d’expertise (talent, ESG, cybersécurité, digital…), et ce dès les due diligences pré-deal et pendant toute la durée de notre détention », témoigne cet ancien consultant chez EY et PwC. Sur ces aspects digitaux, InfraVia s’est notamment emparé de la question de l’intelligence artificielle en se dotant d’un assistant de recherche d’informations à la fois pour son activité de sourcing, de due diligence…, mais aussi pour le mettre à disposition de ses participations. « Nous avons formé les dirigeants de nos sociétés de portefeuille à structurer une démarche d’IA pour trouver les solutions les plus pertinentes à leurs problématiques sectorielles et pour accélérer la mise en œuvre des gains. Par exemple, dans l’énergie, nous avons identifié des cas d’usage de collecte et d’analyse des données de consommation ; dans les infrastructures sociales, nous cherchons à résoudre des sujets de recrutements ou de planification optimisée des équipes, décrit Vincent Grosgeorge. Nous mettons également à disposition de notre portefeuille notre outil interne d’IA qui permet efficacement de faire de la recherche documentaire. Chez Oreima, notre branche spécialisée dans l’investissement immobilier, ces enjeux de recherche documentaire et de valorisation de la donnée sont aussi très prégnants. »