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Longtemps, on s’est gargarisé de la résilience du small cap, de la profondeur de son marché et de son « a-cyclicité » qui l’auraient épargné de l’impact de la montée des taux et des turpitudes macroéconomiques et géopolitiques. Mais force est de constater que les segments du small et lower midcap n’ont pas échappé à la traversée du désert du private equity depuis trois ans. Les tickets d’investissement entre 5 et 50 millions d’euros ont poursuivi leur recul, en montants et en nombre, au premier semestre de 2024 d’après les statistiques de France Invest publiées cet automne, qui font ressortir également le ralentissement de l’activité de capital-développement en lien avec la baisse du volume de transactions primaires. Seuls les investissements de taille inférieure à 5 millions d’euros restent soutenus dans une activité surtout tournée vers des réinvestissements dans des entreprises en portefeuille, notamment pour des build-up. « Le volume de deal flow sur le smidcap – et plus encore sur le small – est resté significatif, mais les projets qui ne permettent pas d’aller jusqu’à la transaction sont toutefois plus nombreux », constate Olivier Jarrousse, associé-gérant d’UI Investissement, qui dispose d’une bonne visibilité sur le marché avec sa plateforme de 1,5 milliard d’euros sous gestion, investissant via des fonds régionaux, nationaux et sectoriels des tickets allant de 1 à 50 millions d’euros. « Ainsi, les projets dont l’étude est approfondie sont environ deux fois moins nombreux en 2024 comparativement aux années précédentes. Néanmoins, la profondeur de marché du smidcap reste suffisante pour nourrir notre activité », poursuit le cofondateur de la plateforme.

Face à la détérioration de la qualité du deal flow et à la fragilisation de pans entiers du tissu économique, les investisseurs ont forcément levé le pied. Un attentisme que l’on note aussi bien sur le front du déploiement que sur celui des cessions, de peur de devoir abîmer des actifs par des process avortés. « Constitués en pleine frénésie des transactions post-Covid, les portefeuilles des fonds lower midcap sont globalement encore jeunes. Ils peuvent encore attendre deux ou trois ans avant d’accélérer les cessions », souligne Charles Guigan, fondateur de la boutique M&A Eurvad. « Et côté achat, même s’il y a encore beaucoup de dry powder sur le marché, certains investisseurs freinent pour ne pas atteindre le quota de 75 % de fonds déployés qui les obligerait à partir en levée dans un contexte défavorable », poursuit-il.

« Dans ce contexte d’incertitude, nous avons relevé notre niveau de prudence avec une attention particulière portée sur tous les dossiers où le prisme des menaces est étudié plus longuement et attentivement qu’auparavant », témoigne Benjamin Arm, directeur général d’IdiCo. De fait, alors que la locked box pour verrouiller les prix était devenue la norme dans l’euphorie des années post-Covid, son usage est en net repli ces dernières années. « Les mécanismes d’ajustement de prix se généralisent avec l’adoption, d’une part, de clauses d’earn-out dans le cas de sorties industrielles et, d’autre part, l’introduction d’instruments de ratchet pour les acquéreurs financiers, leur permettant de se reluer si l’Ebitda de référence s’avérait inférieur au prévisionnel », indique Olivier Renault, associé de Lamartine Conseil. Pourtant, la dernière édition du baromètre Argos publiée en novembre a révélé une hausse surprenante des multiples de valorisation à 9,5 fois l’Ebitda au troisième trimestre de 2024 après une baisse continue depuis 2021. Encore plus inattendu, cette remontada est essentiellement due aux acquéreurs financiers, qui ont déboursé un multiple médian de 10,1 fois l’Ebitda, creusant l’écart avec les industriels restés sagement à 8,8 fois. « L’indice Argos n’est pas très parlant dans le contexte actuel de faible volume, car les fonds ont vendu leurs meilleurs actifs pour améliorer leur DPI, ce qui crée un biais sur les valorisations », analyse le banquier d’affaires d’Eurvad, Charles Guigan. Car la pression sur les cessions varie chez les fonds selon qu’ils ont levé récemment ou qu’ils sont en cours de fundraising et doivent retourner de la liquidité à leurs LPs en toute urgence.

« La liquidité est clé dans les critères de re-up des LPs, confirme Nicolas Eschermann. Comparativement au large cap et à l’upper mid, le segment du lower mid a continué à fonctionner et à assurer une régularité de déploiement et de distribution pour les souscripteurs de la classe d’actifs, ce qui s’est traduit par une prime dans un contexte de capital plus sélectif », poursuit le responsable des relations investisseurs de Siparex, qui vient de finaliser la levée de Siparex Midcap 4 en dépassant son hard cap de 300 millions d’euros, soit une hausse de près de 80 % par rapport à son prédécesseur clôturé en 2018, à 170 millions. Une performance plutôt exceptionnelle dans un contexte où les durées des levées s’allongent et où les objectifs sont régulièrement revus à la baisse. D’après le dernier baromètre Coller publié au début de décembre, 90 % des LPs ont reçu une demande d’extension de la période de levée et 61 % ont vu au moins un de leurs fonds partenaires se closer en-dessous de l’objectif initial. Près de 9 LPs sur 10 pensent ainsi refuser de réinvestir avec certains gérants de leur portefeuille actuel au cours des 12 prochains mois, compte tenu du resserrement des contraintes de liquidité.

Cette fermeture du robinet des allocations se ressent toutefois plus dans les segments hauts du midmarket faisant appel aux grands institutionnels internationaux sondés par le baromètre Coller Capital. L’étau semble se desserrer progressivement pour les fonds smidcap actuellement en levée même s’ils multiplient les closings intermédiaires avant d’arriver à leurs fins. Certains osent même se lancer dans de nouvelles stratégies. En cours de levée du deuxième millésime de son fonds small cap qui vise un objectif de 150 millions d’euros, dont plus des deux tiers sont déjà collectés, Abenex a lancé en début d’année un first time fund dédié à la décarbonation des PME industrielles avec un objectif de 150 millions d’euros (lire « La décarbonation, nouvelle frontière des fonds de private equity » dans notre numéro 192, de février 2024). « Nous n’avons certainement pas choisi le meilleur timing pour lancer une nouvelle stratégie, mais elle s’inscrit dans la suite logique de notre certification BCorp et de notre statut d’entreprise à mission », explique l’associé Patrice Verrier, qui compte sur la cohérence de son positionnement et la rareté des fonds à impact sur le segment du LBO pour atteindre son objectif.

D’autres voient également le retour d’un appétit mesuré après des mois de régime sec. « Sur le front des levées, les années 2022 et 2023 ont été plus difficiles que cette année. Il a fallu laisser le temps aux LPs de réaligner leurs attentes et de réajuster leurs portefeuilles avant d’être à nouveau disponibles », confie Benjamin Arm, directeur général d’IdiCo, qui mène simultanément la levée de ses fonds de LBO small cap et de dette privée. Deux ans après son adossement à l’Idi, l’ex-activité smidcap d’Omnes vient d’annoncer les premiers closings d’IdiCo Expansion 4 et d’IdiCo Mezzanis 4, d’un montant de 80 millions d’euros chacun pour un objectif final respectif de 200 et 250 millions d’euros. « Pendant deux ans, les LPs n’étaient intéressés que par le DPI alors que, depuis quelques mois, ils abordent à nouveau des sujets de performance et d’accompagnement des participations du portefeuille », poursuit le GP. Ainsi, faute de sorties sonnantes et trébuchantes, les souscripteurs de la classe d’actifs exigent au moins que le temps de détention à rallonge serve à travailler le portefeuille. Car si les stratégies de buy-and-build ne sont pas une nouveauté en soi, elles sont devenues l’alpha et l’oméga de la création de valeur chez toutes les équipes de private equity.

Plateformisation inéluctable ?

« Les acteurs du smidcap marchent dans les traces de leurs confrères du mid et du large sur la voie de la plateformisation », souligne Dominique Gaillard, cofondateur d’Armen, qui se positionne justement sur ce marché pour offrir des solutions de financement aux sociétés de gestion souhaitant développer de nouvelles stratégies et monter en puissance. « La consolidation devra inéluctablement s’accélérer dans les prochaines années », poursuit l’ancien dirigeant d’Ardian, qui s’est associé avec Laurent Bénard, ex-DG de Capza, et Renaud Tourmente, son ex-COO, à la tête du pionnier européen des GP-stakes dans le lower midcap il y a deux ans.

Après avoir inauguré son portefeuille avec le spécialiste de la transition énergétique RGreen Invest en avril 2023, puis pris une participation minoritaire dans le fonds de deeptech Jolt Capital au début de 2024, Armen a signé deux investissements dans deux fonds de dette britannique, Chorus Capital, un acteur de niche spécialisé dans les risk-sharing-transactions, et Signal Capital, une société de gestion investissant dans les crédits adossés à des actifs réels. S’il n’a pas encore trouvé son bonheur dans le segment du buyout smidcap, il étudie le marché avec grand intérêt. « Les sociétés de gestion ont traditionnellement peu de fonds propres, elles ont besoin d’acteurs comme nous pour du cash-in, surtout dans le contexte actuel », assure Dominique Gaillard.

Dominique Gaillard

Sortir des sentiers battus

Hadrien Mollard

L’ère où les banquiers d’affaires envoyaient 25 mémos en espérant 10 LOI serait donc révolue. Place aux process resserrés autour de quelques acteurs triés sur le volet pour leur compatibilité avec l’actif à céder. « Dans un marché plus indécis et chahuté, il faut savoir sortir des sentiers battus et provoquer des process sans attendre le parfait alignement des planètes », glisse Hadrien Mollard, managing partner d’Oaklins, qui cite l’exemple du fabricant d’emballages pour les marques de cosmétique Pinard qu’ils ont identifié dans le portefeuille d’IK. Le conseil M&A a convaincu l’investisseur d’accélérer son calendrier de cession, initialement prévu en 2025, en lui apportant sur un plateau un duo d’acquéreurs sur mesure : le fonds britannique Bluegem, repéré notamment du fait de sa volonté de consolider l’amont de la chaîne de valeur du consumer, et le first time fund Arev Partners, qui s’était déjà positionné sur des dossiers similaires.

L’activisme d’Oaklins sur le smidcap se traduit également par la structuration d’une offre dédiée au buy-and-build grâce à l’intégration de la petite équipe spécialisée Wanda Corporate Finance (lire actu page 9). « Il nous est déjà arrivé de sourcer des build-up pour des actifs qu’on connaissait bien, mais nous n’avions pas un savoir-faire dédié au screening du marché et nécessitant une agilité dédiée pour les plateformes acquisitives des fonds », explique Hadrien Mollard.

Le lower mid s’internationalise

Florent Lauzet

La grande tendance des derniers mois est d’aller faire ses emplettes hors des frontières de l’Hexagone pour renforcer la diversification géographique des participations. « Face au ralentissement des transactions de LBO, nous nous sommes recentrés sur notre portefeuille en multipliant des opérations de build-up, avec un prisme plus important à l’international », abonde Florent Lauzet, associé de Siparex, responsable de l’activité ETI, qui a notamment signé deux acquisitions au Royaume-Uni pour le fabricant de matériel médical Winncare qu’il contrôle depuis 2021. Sans nier les difficultés structurelles de la France et le marasme politique dans lequel elle est embourbée depuis des mois, le marché du smidcap tricolore, profond et diversifié, souffre moins de la comparaison avec le Mittelstand allemand, frappé de plein fouet par la crise automobile et la baisse de ses exportations. « Le marché allemand s’ouvre aux acquéreurs français pour des build-up alors qu’il était très difficile d’accès il y a encore quelques années », constate Nicolas Eschermann, membre du comité exécutif chargé des relations investisseurs chez Siparex, qui a également renforcé sa présence à Milan cet automne. « La tendance actuelle est de constituer des équipes pan-européennes sur le lower midcap, ce qui était auparavant l’apanage des acteurs de l’upper mid », fait remarquer l’associé, qui vante la robustesse de sa plateforme aux six lignes de métier et 3,7 milliards d’euros sous gestion pour permettre cette expansion avec six bureaux en France, trois en Europe (Berlin, Bruxelles, Milan) et des partenariats en Afrique et en Amérique du Nord.

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