Les grands groupes se recentrant sur leur core business, voici l’occasion rêvée pour les fonds de mener des LBO primaires sur des actifs délaissés. Mais à la différence d’une opération sur une entreprise stand alone, ce n’est pas le levier financier le plus créateur de valeur pour l’investisseur
« Les acheteurs ne cherchent pas à abuser de l’effet de levier. Outre le risque induit par ce type d’opération, c’est le signe d’une certaine prudence face à la fin du quantITative easing aux États-Unis. » Hervé Jauffret, associé, EY Transaction Services Advisory
APPÉTIT DÉCUPLÉ
Les opportunités sont légion. Toujours selon le baromètre, 54 % des corporates s’attendent à une hausse des désinvestissements dans les douze prochains mois. Ce qui ravive l’appétit des acquéreurs potentiels, puisque 42 % des responsables de grandes entreprises interrogés estiment voir augmenter le nombre de demandes de rachat d’une branche sans que cette dernière soit nécessairement en vente. À la vente en ce moment, Osram, qui désire se séparer de sa branche Ampoules. Ce secteur représentant 40 % des revenus de l’entreprise, les dirigeants estiment que l’opération prendra environ douze mois. Verallia, division de Saint-Gobain, fait l’objet d’une vente où Carlyle, Blackstone, CVC ou Permira seraient sur les rangs des repreneurs. À titre d’exemple, la vente de Verallia pourrait rapporter au minimum 2,3 milliards d’euros à Saint-Gobain, qui a déjà cédé la branche nord-américaine de Verallia en 2014 à l’irlandais Ardagh pour 1,275 milliard d’euros. On peut également citer Airbus, qui a lancé mi-avril la vente (menée par Lazard) de sa filiale de communications par satellite Vizada. Celle-ci intéresserait d’ailleurs Ardian, Bridgepoint ou Apax, selon Bloomberg. Ce dernier connaît d’ailleurs bien la cible, puisque le GP avait revendu Vizada à Airbus en 2011.
« En créant NeoXam à partir des logiciels de Sungard Financial Systems, nous avons mis un levier de 30 %. En effet, nous sommes restés prudents, malgré notre confiance dans l’actif, car toutes les hypothèses couchées sur un fichier Excel n’étaient pas immédiatement vérifiables. » Laurent Bouyoux, partner, BlackFin.
DÉTOURER MINUTIEUSEMENT
Si le vendeur pourra améliorer sa rentabilité, financer sa croissance ou se désendetter avec le produit de la cession, le défi de l’autonomie revient à l’acquéreur. En amont de la vente, l’acheteur doit d’abord se lancer dans une minutieuse cartographie des actifs à reprendre. Il faut identifier précisément les contrats, les actifs et les passifs à transférer, afin de déceler les problématiques liées au transfert de certains éléments, notamment les autorisations réglementaires ou les certifications. De même, certains contrats conclus avec des clients ou fournisseurs peuvent concerner plusieurs activités du groupe, ce qui suppose d’organiser la séparation en partenariat avec les clients et fournisseurs. Le portefeuille des droits de propriété intellectuelle devra aussi être analysé avec soin, pour déterminer ce qui sera nécessaire à l’activité cédée et ce qui sera transféré. « Cette phase d’analyse est de plus en plus réalisée par les vendeurs, explique Hervé Jauffret. Nous leur conseillons en effet d’aider les repreneurs potentiels en leur transmettant l’ensemble des hypothèses possibles concernant la cible. » Cependant, les repreneurs des activités n’avancent pas seuls, et il peut y avoir un partage des coûts. Des Transition Services Agreement (TSA) peuvent être conclus entre le repreneur et le cédant. Ainsi, ce type de contrat a été mis en oeuvre lors des carve out de Martine Spécialités et d’Ipackchem réalisés par Cerea Capital. « Ce contrat est très important car il reprend l’ensemble des prestations de services que le vendeur s’engage à fournir à la nouvelle entité (et inversement) pendant une certaine durée et à un coût préétabli. Il nécessite donc de définir précisément ces prestations, ce qui est souvent compliqué car elles ne sont pas toujours identifiées au préalable, et sont susceptibles de toucher toutes les fonctions de l’entreprise : fourniture d’électricité ou contrat d’assurance via un contrat groupe, logistique commune sur une partie des flux, gestion de la paie, service de facturation client, relations bancaires, maintenance informatique, licences, logos sur les plaquettes, site internet, etc. », explique Xavier Renault, directeur d’investissements chez Cerea Partenaire.
PRUDENCE DANS LES LEVIERS ET LA STRUCTURATION DES DEALS
Ces divers risques et la complexité des carve-out entraînent donc des montages d’acquisition prudents. « Les acheteurs ne cherchent pas à abuser de l’effet de levier. Outre le risque induit par ce type d’opération, c’est le signe d’une certaine prudence face à la fin du quantitative easing aux États-Unis », commente Hervé Jauffret. En effet, rares sont les deals récents comprenant un financement bancaire classique, la mezzanine ou l’unitranche leur étant préférées. La sortie d’Idéo- Santé (devenue Ido-In), de SQLI par Initiative & Finance, en 2013, a ainsi été réalisée sans dette d’acquisition. De plus, lorsque Chequers Capital a repris en 2008 la majorité de Cenexi, spécialisé dans le façonnage pharmaceutique auprès du groupe Roche, l’opération a été montée pour moitié en capital et moitié en mezzanine. Cette particularité provient du fait que la nouvelle structure n’a pas encore d’identité juridique ni bancaire, et donc pas d’historique propre à rassurer un banquier. En outre, les leviers utilisés sont plus prudents que pour un LBO sur une entreprise déjà largement autonome. « En créant NeoXam à partir des logiciels de Sungard Financial Systems, nous avons mis un levier de 30 %, explique Laurent Bouyoux, partner de BlackFin. En effet, nous sommes restés prudents, malgré notre confiance dans l’actif, car toutes les hypothèses couchées sur un fichier Excel n’étaient pas immédiatement vérifiables. » Le groupe de logiciels dédiés à la gestion d’actifs, qui a réalisé 35 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2014, emploie aujourd’hui 300 développeurs et consultants en Europe, en Chine, en Afrique et aux États-Unis et a joui en 2014 d’une croissance organique de 10 %. Mais pour en arriver là, il leur a fallu tout reconstruire. « Nous avons dû recréer 10 filiales dans le monde et les intégrer. De plus, nous avons mis en place l’ensemble des fonctions supports », se souvient Laurent Bouyoux. Une affaire qui a été facilitée par la mise en place en interne d’une fonction comptable et financière à même de piloter l’activité.
« Il y a un réel effet psychologique sur les managers qui rentrent au capital à l’issue d’une opération. En plus du management package, le fait de ne plus travailler pour un groupe, mais d’avoir une véritable vision patrimoniale, les focalise sur l’entreprise. » Jean-Michel Laveu, directeur associé, Initiative & Finance
« Ce contrat est très important car il reprend l’ensemble des prestations de services que le vendeur s’engage à fournir à la nouvelle entité (et inversement) pendant une certaine durée et à un coût préétabli. » Xavier Renault, Directeur d’Investissements, Cerea Partenaire
MISE EN PLACE DU CADRE
À l’image d’une toile de maître délaissée dans les réserves d’un musée, les investisseurs vont alors s’employer à retrouver le cadre qui à la fois mettra en valeur et soutiendra l’actif. Besoins humains, IT, services comptables, juridiques, etc. sont l’ensemble des ornements que peuvent ajouter les fonds. Lorsque Sagard et Cerea reprennent en 2011 les activités européennes de Sara Lee spécialisées en pâtes réfrigérées, Eurodough, les chantiers les plus importants à mettre en place ont alors été l’informatique et la trésorerie. « La gestion de la trésorerie et les prévisions de cash flow restent des points clés de l’opération. Car d’une part, la société reprise est par définition inconnue des banques, et d’autre part, il faut assurer la continuité des encaissements et des paiements », explique Gilles Sicard. Sur un autre plan, la création de valeur passera aussi par la mise en place des bonnes personnes aux postes clés, qu’elles soient déjà présentes dans l’entité ou venant de l’extérieur. Ainsi, lorsque NCI Gestion, Unexo et Normandie Partenariat reprennent Norman, un spécialiste des équipements pour l’abattage et la manutention des viandes, au groupe Bretèche Industrie en 2012, les fonds nomment un nouveau directeur général, Stéphane Michalon (qui était directeur général de Stokvis Tapes en France), et font monter au capital le directeur technique. Plus technique cette fois, Novacap, repris par Bain en 2002 à Rhodia, a dû se doter de systèmes logistiques, de supply chain et de supports logiciels (voir encadré ci-dessus). Ce qui a permis à la branche de faire croître ses revenus de près de 70 % entre 2003 et 2010.
LIBÉRATION DES CONTRAINTES DU GROUPE
Enfin, le levier le plus important de la création de valeur reste sûrement la sortie du groupe. En effet, pour les managers, une nouvelle opportunité se présente : celle de rentrer ou de se renforcer au capital et devenir leurs propres patrons. Ainsi, lors du MBO d’Ido-In, pôle d’édition de solutions santé de la société de services informatique SQLI, le nouveau dirigeant Omar Mrani a pris 20 % du capital de la nouvelle société. « Il y a un réel effet psychologique sur les managers qui rentrent au capital à l’issue d’une opération. En plus du management package, le fait de ne plus travailler pour un groupe, mais d’avoir une véritable vision patrimoniale, les focalise sur l’entreprise », illustre Jean-Michel Laveu, directeur associé chez Initiative & Finance. Reste pour le fonds la charge de trouver le meilleur package, afin que les managers soient les plus enthousiastes possibles… S’il n’apporte pas toujours plus de performance financière pour l’investisseur à la revente qu’un autre LBO primaire, le carve out apporte néanmoins de la richesse à l’entreprise, grâce à l’amélioration de ses structures et la libération de son potentiel. Gratifiant !