«Ce sont des métiers avec très peu de capex, sauf pour les build-up, et qui présentent des cash flows significatifs, poursuit l’investisseur. Ils ont cependant un point mort assez élevé et un chiffre d’affaires non linéaire.» Florent Lauzet, Siparex
La France peut compter sur des ingénieurs bien formés, qui passent très souvent une partie de leur carrière dans des sociétés de conseil en ingénierie. Ces dernières travaillent aux côtés de grands comptes dans l’énergie, les transports, l’industrie ou la technologie, et leur modèle économique se révèle bien adapté au private equity.
UN SEUL ACTIF, LE SAVOIR-FAIRE
Le secteur de l’ingénierie, qui emploie environ 233 000 personnes fin 2012, selon l’Insee, est caractérisé par un personnel hautement qualifié. Les cadres et professions intellectuelles représentent ainsi 45 % de l’effectif salarié (respectivement 39 % dans l’architecture et 24 % dans les analyses, essais et inspections techniques). Ces cadres perçoivent 57 % de la masse salariale du secteur. D’où l’intérêt de les impliquer en les associant au capital avec des structures juridiques évolutives : le management de Fives détient 55 % du capital de la société, et plusieurs deals ont associé les cadres et salariés dans un Fonds commun de placement d’entreprise (FCPE), comme chez Spie, Trescal (Ar- dian) ou Socotec (maîtrise des risques, Cobepa et Five Arrows). Même si la fidélité n’est pas toujours au rendez-vous. « Il n’est pas rare que des ingénieurs rejoignent les rangs d’un client de la société, remarque Jean-Paul Bernardini, président de Nixen. Cela fait partie du jeu, c’est totalement assumé car ils deviennent souvent des clients. » L’accent est donc mis aussi sur l’autre moyen d’attirer les talents : la formation. En effet, les groupes de conseil en ingénierie ressemblent un peu aux cabinets d’audit, qui recrutent des jeunes diplômés en quête d’expériences variées. Chez Vulcain, participation de Nixen qui réalise une cinquantaine de millions d’euros de chiffre d’affaires et compte environ 600 collaborateurs, « les ingénieurs recherchent des parcours d’excellence et des projets intéressants, en restant en phase avec les besoins des clients. La société a ainsi mis en place les “Jeudis Vulcain”, qui fédèrent une communauté autour de sujets techniques permettant notamment le partage d’expérience », ajoute Jean-Paul Bernardini.
LA CROISSANCE EXTERNE
Comme dans de nombreux métiers de services, le paysage économique est atomisé. Le secteur de l’ingénierie est constitué essentiellement (94 %) d’entreprises dégageant moins de 2 millions d’euros de chiffre d’affaires mais qui ne pèsent que 19 % dans son chiffre d’affaires total, d’après l’Insee. Par ailleurs, les cinq entreprises de plus de 500 millions d’euros de chiffre d’affaires ne drainent que 11 % de l’activité. Ainsi, le secteur de l’ingénierie apparaît faiblement concentré et donc propice aux build-up. Ce qu’illustre Artelia (spécialiste de la construction, infrastructure et environnement dont CM-CIC Investissement détient 3 %), constituée suite au regroupement de Coteba et Sogreah, qui ont chacune précédemment vécu des MBO. Spie, comme Socotec ou Trescal, sont aussi des champions de la croissance externe, avec plusieurs dizaines de build-up chacun.
VERS L’EXTÉRIEUR
Le taux d’exportation des entreprises d’ingénierie françaises représente un quart des ventes, selon les statistiques nationales. Forcément, cela attire les investisseurs en quête de relais de croissance. Les conseils doivent donc être capables de suivre un grand donneur d’ordre dans ses chantiers partout dans le monde s’ils veulent rester compétitifs. « Les métiers du conseil en ingénierie permettent une grande mobilité dans l’accompagnement des clients, celle-ci reposant notamment sur la capacité des équipes commerciales à anticiper leurs besoins, juge Johann Le Duigou, directeur associé chez Nixen. Ainsi, pour y répondre et activer des relais de croissance, un cabinet de conseil en ingénierie peut décider d’ouvrir une filiale à l’international ou encore de développer une nouvelle niche de marché. » C’est une des raisons pour lesquelles Vulcain Ingénierie compte aujourd’hui sept filiales en Europe du Nord et en Afrique, avec des consultants qui exercent dans plus de 30 pays. Cependant, le développement à l’étranger concerne plus spécifiquement certaines zones. « Les modes constructifs différents entre les entreprises françaises et anglo-saxonnes définissent des zones d’intervention à l’international : les sociétés françaises vont, par exemple, plutôt travailler dans le bassin méditerranéen et sur le continent africain, détaille Florent Lauzet. CEBTP a ainsi signé des contrats en Afrique, où par ailleurs de nombreux bâtiments et usines sont construits par des entreprises chinoises, ce qui explique la présence de Cathay à nos côtés au capital de la société. » Entre ingénierie financière et ingénierie de terrain, le courant passe donc dès qu’il y a accord sur la structure du développement à mener.
Part du chiffre d’affaires HT
SPIE, Une croissance avec des fonds depuis 2006
3 QUESTIONS À JACQUES SOLLEAU
Le Fonds de développement des entreprises du nucléaire (FDEN) vient de signer son premier investissement dans Sites, société d’ingénierie. Pouvez-vous rappeler ce qui a initié le lancement de cette stratégie de filières ?
Ces deux dernières années, nous avons lancé le fonds Croissance Rail et le FDEN, qui ont la caractéristique commune d’être souscrits par Bpifrance et, surtout, par des acteurs des filières concernées. Ainsi, le FDEN a reçu des souscriptions d’EDF, Areva, Alstom, Vinci et Eiffage et Bpifrance qui lui ont permis de collecter 133 millions d’euros. Croissance Rail, doté de 40 millions d’euros, est pour sa part abondé par Alstom Transport, Bombardier Transport, SNCF Participations, RATP et Bpifrance. En effet, nous avons en France la chance d’avoir des acteurs de poids dans ces filières, et avons une carte à jouer au plan mondial. Pour répondre aux défis énergétiques et de transport qui nous attendent, il est important de favoriser l’émergence et la croissance d’une filière puissante de PME et d’ETI qui accompagnent ces grands donneurs d’ordres dans leurs marchés à l’étranger. Les fonds filières ont donc l’ambition de muscler ces PME et ETI en renforçant leurs capitaux propres et en les accompagnant dans leurs stratégies.
Pourquoi avoir choisi d’accompagner Sites ?
Cette entreprise d’ingénierie intervient sur la durabilité de grands ouvrages comme le viaduc de Millau, des structures complexes comme la pyramide du Louvre, et dispose d’une forte expertise autour du nucléaire. Elle est très ancrée dans des métiers de croissance, car les grands ouvrages sont de plus en plus monitorés, et Sites installe des capteurs pour surveiller l’évolution de la structure et des matériaux de ces bâtiments. De fait, l’âge moyen du parc de centrales nucléaires françaises est de 30 ans, et beaucoup de travaux de maintenance sont prévus par EDF. Cet ensemble de projets, le « grand carénage », va nécessiter l’intervention de nombreuses entreprises des domaines de l’ingénierie. Par ailleurs, avant le lancement du FDEN, Bpifrance avait déjà investi dans d’autres entreprises d’ingénierie : ATR, dans les domaines du nucléaire et des industries à risque, BEG, qui offre des services de conception, réalisation et réhabilitation de bâtiments tels des hypermarchés ou des centres logistiques…
Quelle est votre vision de l’ingénierie française ?
La France a connu une forte croissance après-guerre, et a énormément construit de bâtiments, de sites industriels, d’ouvrages d’art et de réseaux de transport, ce qui a entraîné le développement de bonnes capacités en ingénierie. Nous avons la chance d’avoir des ingénieurs de très bon niveau, avec un important savoir- faire métier dans des domaines comme l’énergie ou le nucléaire civil que peu d’autres pays maîtrisent.
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