« Cela prend beaucoup plus de temps de mettre en place des refinancements donc les sponsors ont compris qu’il fallait anticiper », Marie-Paule Noël, Jeausserand Audouard
Face à la rareté des nouvelles transactions, la liquidité retrouvée sur le marché de la dette bancaire se recentre sur les refinancements, tandis que la dette privée est plus sélective que jamais.
« Nous assistons depuis un an à un afflux de la liquidité sur les marchés après une période de retrait des investisseurs en 2022 et au début de 2023 », retrace Éric Cherpion. « Avec l’anticipation de la fin de la hausse des taux, le contexte de marché a été jugé suffisamment stable pour le retour de la partie spéculative de la dette, provoquant un déséquilibre entre la demande provenant de l’abondance de liquidité et la faible offre liée au maigre pipeline de nouveaux deals », poursuit le responsable mondial de la syndication du pôle liquide chez Société Générale. L’émission des financements à effet de levier en Europe a de fait atteint 128 milliards d’euros au premier trimestre de 2024, soit une hausse de 115 % par rapport à la même période en 2023. Une dynamique portée aussi bien par les émissions de high yield bonds, qui ont explosé de 200 %, à plus de 40 milliards d’euros, que par les leveraged loans, qui ont progressé de 90 % à 88 milliards d’euros. Sur la période de janvier à juin 2024, 103 milliards d’euros de dette term loan B (TLB) ont ainsi été émis en Europe et 17 milliards étaient prévus pour le mois de juillet, faisant de ce premier semestre un record depuis trois ans. D’où les conditions très avantageuses pour des refinancements menés par des sponsors qui tentent de « repricer » des dettes contractées à des taux plus élevés. D’après un rapport de Barclays publié en mars, 33 milliards d’euros ont été refinancés en Europe en dette syndiquée durant le premier trimestre de 2024, soit trois fois plus que durant la même période en 2023. « Les conditions de marché favorables aux emprunteurs ont dopé les opérations opportunistes de “dividend recap” et de “repricing”, et facilité les extensions de maturités pour les entreprises sous LBO dont les cessions ont été reportées dans un marché du M&A atone », confirme Jean-Christophe Bonassies, à la tête du leveraged finance France de Crédit Agricole CIB. Le groupe vétérinaire français Ceva Santé animale a ainsi signé en novembre dernier l’un des plus importants financements syndiqués en Europe en 2023 pour un montant global de 2,3 milliards d’euros. La transaction comprend un term loan B de 1,8 milliard d’euros syndiqué en Europe et un TLB de 540 millions de dollars syndiqué aux États-Unis. De quoi refinancer le prêt à terme existant de 2 milliards d’euros levé en 2019, à la veille de son LBO quinte de 2020 qui l’avait valorisé près de 5 milliards d’euros, et de remonter quelque 200 millions d’euros de cash à ses actionnaires, un pool élargi de fonds souverains et corporates internationaux.
En février, le distributeur de produits chimiques de spécialité Safic-Alcan a profité également de l’effervescence du marché des loans pour renégocier les conditions de son prêt levé à la fin de 2022 lors de son quatrième LBO qui l’a valorisé près d’un milliard d’euros. Le groupe français a ainsi « repricé » son term loan B de 470 millions d’euros d’échéance juin 2029, contracté à 5,125 % au-dessus de l’Euribor il y a moins de deux ans, à Euribor +400 points de base. À la même période et faute de trouver un repreneur, le groupe rhônalpin de centres automobiles Feu Vert, contrôlé depuis 2016 par Alpha Private Equity, a réussi à boucler son refinancement. Pour un montant global de 185 millions d’euros, répartis entre une dette senior en trois tranches, une RCF et une mezzanine, ce nouveau package permettrait d’améliorer le pricing global de 200 points de base. Alpha Private Equity avait une première fois tenté de refinancer Feu Vert au début de 2020, mais la crise du Covid-19 avait entravé l’opération, contraignant le groupe aux 650 millions d’euros de revenus de souscrire 50 millions d’euros de PGE qu’il a remboursés par la suite.
Pour les secteurs moins prisés par les prêteurs bancaires, le high yield a pris le relais. Kiloutou est ainsi parvenu à refinancer une partie de sa dette en améliorant son coût et en repoussant ses échéances. Contrôlé par Dentressangle depuis 2018 pour une valorisation de 1,5 milliard d’euros, le groupe nordiste de location de matériel de chantier a réussi l’émission, à la fin de janvier, de 650 millions d’euros d’obligations à haut rendement à échéance 2030 pour remplacer un emprunt équivalent à échéance 2026. Plus récemment, le distributeur de lunettes et d’appareils auditifs Afflelou a lancé le 15 juillet une émission high yield de 560 millions d’euros rémunérée à 6 %. Cette senior secured note à échéance 2029 vise principalement à refinancer ses 535 millions d’euros de high yield bonds mis en place entre 2021 et 2022. La différence entre le nouveau financement et l’ancien permettra de verser un dividende exceptionnel de 91 millions d’euros aux actionnaires d’Afflelou, à savoir Lion Capital, qui détient 71 % des parts, et la famille du fondateur Alain Afflelou, en puisant également dans la trésorerie disponible du groupe. Cette activité de refinancement a ainsi fortement animé le marché au premier semestre 2024. « Nous avons dirigé plus d’une trentaine d’opérations en TLB et high yield bonds sur les six premiers mois de l’année, soit plus que sur l’ensemble de 2023 », témoigne Jean-Christophe Bonassies.